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Une Parole qui jette à l'eau !
Je ne suis pas celui que vous croyez
D.E.C.K., un mot qui fait peur
Les grands idéaux, et la réalité...
Opium du peuple
Jésus ou Barrabas ?
Un public chez les privés

 

 

 

Fin septembre 1980

Introduction et conclusion d'un article de réflexion, prévu pour le n° 72 du PASSEUR, que l'équipe pastorale a demandé de retirer.

Avec introduction différente, le contenu de l'article paraîtra dans le n° 73, de décembre 1980 sous le titre "127 ans de concubinage forcé"

 

Que faire ?  

   "Malheur à ceux qui vivent bien tranquilles dans Jérusalem,
            à ceux qui se croient en sécurité sur la montagne de Samarie.
            Couchés sur des lits d'ivoire, vautrés sur leurs divans,
            ils mangent les meilleurs agneaux du troupeau, les veaux les plus tendres;
            ils improvisent au son de la harpe,
            ils inventent, comme David, des instruments de musique;
            ils boivent le vin à même les amphores,
            ils se frottent avec des parfums de luxe,
            mais ils ne se tourmentent guère du désastre d'Israël !
            C'est pourquoi maintenant ils vont être déportés,
            ils seront les premiers des déportés;
            et la bande des vautrés n'existera plus."

  Amos 6, 1-7

Cette semaine j'ai été assis entre deux chaises... et puis les textes de la liturgie du 28 septembre sont venus faire la paix en moi.

Il s'agit du texte d'Amos, et de la parabole de Lazare et de l'homme riche... cet homme qui supplie Abraham d'envoyer quelqu'un ouvrir les yeux à ses frères afin qu'ils n'en arrivent pas là où il est arrivé.

Ces textes de la liturgie venaient après que j'aie eu quelques réactions au dernier numéro du PASSEUR où avait paru un mot tabou : INDEPENDANCE. Plusieurs personnes m'avaient aussitôt mis en garde : "Tu vas t'attirer des ennuis. Il y a des choses qu'on peut penser mais qu'il vaut mieux ne pas dire". D'autres ont fait savoir par ailleurs que "s'il y était encore question de politique, ils se désabonneraient du PASSEUR".

Je me posais des questions : "Que dois-je faire ?"

D'un côté on me dit : "Tu n'as pas le droit de parler ainsi, tu mouilles l'Eglise". D'un autre côté, il y a des silences que je sens profondément malhonnêtes. ... "Si tu vois un danger et que tu ne le signales pas à ton frère, c'est sur toi que je ferai retomber son sang" nous dit-on dans la Bible. Le Droit, lui, condamne ceci comme "Non-assistance à personne en danger".

Les textes du 26° dimanche m'enlèvent toute hésitation : il y a des choses à dire, des vérités à rétablir, des prises de consciences à accompagner, des dangers à signaler. Ce n'est pas "faire de la politique", c'est simplement et concrètement "aimer", la première loi du chrétien.

Avec les évènements du Vanuatu, le milieu européen a une sensibilité exacerbée. Parler d'indépendance, c'est faire remonter au niveau de la conscience des images, des peurs qui l'insécurisent profondément. Je comprends tout ce poids d'incertitude qui pèse lourdement sur eux. En tant que prêtre j'y suis tout particulièrement sensible, et ne puis être un "spectateur neutre" devant le drame intérieur qu'ils vivent. Tout ce qui touche un homme me touche.

En tant que pasteur d'un troupeau où les ethnies sont mêlées, il est de mon devoir d'aider les hommes à se comprendre et de mettre en garde quand un danger menace, comme la sentinelle d'Ezéchiel placée sur le rempart.

Il faut accepter de regarder les problèmes en face si on veut avoir une chance de leur trouver une solution. La politique de l'autruche n'a jamais rien résolu.

(...)

J'ai failli à la loi sacro-sainte du silence. Ne militant dans aucun parti, je ne prends pas position pour une option ou pour une autre : j'éclaire ce qui pour certains est un champ de bataille, alors que ce devrait être un chantier de construction.

J'ai essayé de jeter un regard dénué d'à-priori sur les différents aspects d'une situation... dont on ne peut pas avoir toujours une claire vision quand on est trop directement impliqué.

En tant que prêtre et non-engagé politiquement, je suis ainsi particulièrement sensible aux problèmes et des uns et des autres. Et j'ai voulu sensibiliser aux craintes et aux aspirations des uns comme des autres. J'ai voulu mettre les choses au clair quand il me semblait que la vérité en prenait un coup. J'ai voulu mettre en garde quand il me semblait que certaines situations recelaient un danger.

Je ne porte aucun jugement sur des hommes, mais partage les craintes et les aspirations de tous.

 

N° 74 fin février 1981

LE PASSEUR

"Je ne suis pas celui que vous croyez"

d'après Stan Rougier

Nous pensions : "Dieu est une superpuissance, un supergrand, terrible, menaçant".
... en Jésus-Christ, nous le voyons couvert de crachats, fragile, menacé.

Nous pensions : "Dieu se venge volontiers du déshonneur que l'homme lui inflige".
 ... en Jésus-Christ, nous le voyons qui nomme Pierre responsable de l'Eglise après ses reniements.

Nous pensions : "Dieu tient un compte minutieux des fautes des hommes".
... en Jésus-Christ, nous l'entendons dire : "Pardonnez tout, il vous sera tout pardonné !"

Nous pensions : "Dieu aime par-dessus tout nos efforts et nos mortifications".
... en Jésus-Christ, il nous dit : "C'est la miséricorde que je veux et non les sacrifices".

Nous pensions : "Dieu est un mythe où nous fourrons ce qui nous manque, une "projection" de nos désirs frustrés".
... en Jésus-Christ, nous le voyons qui se dérobe lorsqu'on lui demande d'être ce qu'Il n'est pas et de combler nos manques.

Nous pensions : "Dieu a une préférence pour le juste et une répugnance pour le pécheur".
... en Jésus-Christ, nous découvrons un Dieu "qui n'est pas venu pour les justes mais pour les pécheurs".

Nous pensions : "Dieu est un opium pour le malheureux et l'opprimé".
... en Jésus-Christ, nous découvrons un Dieu qui appelle les opprimés à trancher les racines de l'oppression : mépris, indifférence, mensonge.

Nous pensions : "Dieu est le talisman de ma chance, il faut me mettre dans ses bonnes grâces".
... en Jésus-Christ, Dieu inverse les rôles. Il adresse aux hommes une prière :

"J'ai besoin de toi. Veux-tu m'aider à répandre sur terre le feu de l'amour ?"

 

N° 74 fin février 1981

LE PASSEUR

D.E.C.K.

Parler d'une D.E.C.K., c'est aussitôt faire naître l'espoir... ou la suspicion ! Le terme de "kanak" est porteur d'une charge émotive extraordinaire.

Pour certains "c'est tout". C'est tout ce qu'on ne sait pas toujours exprimer et à quoi on aspire, c'est tout ce par quoi on espère se réaliser. C'est le médicament qui soigne toutes les plaies, c'est le breuvage qui donne l'invincibilité pour partir au combat.

Pour d'autres, c'est le bâton de dynamite qu'on essaierait de leur coller entre les pattes, c'est le loup dans la bergerie, c'est l'agresseur en puissance...

C'est pour cela qu'il est difficile de s'entendre !

Il faut raisonner cette émotivité.

Si l'on parlait de la création sur le Territoire d'un Enseignement Wallisien Catholique, un enseignement pensé par des Wallisiens et cherchant à répondre aux besoins spécifiques des Wallisiens de ce Territoire... je pense que tout le monde trouverait cela très positif, que ce serait encouragé par la D.E.C., et cautionné par les autorités religieuses. On vanterait l'originalité de l'Enseignement Catholique et sa capacité d'adaptation et de réponse aux besoins diversifiés des hommes de ce pays. Il en irait de même pour d'autres ethnies, les Vietnamiens par exemple.

Mais quand il est question d'en Enseignement Kanak, c'est la levée de boucliers. Pourquoi ?

Si ceci s'explique en partie par la charge émotive du mot, il y a bien d'autres raisons ! Et ces raisons, c'est tout ce qui a été vécu ces derniers mois : mensonges, calomnies, pressions, atteintes à la liberté du culte... Comment ne pas s'interroger sur un mouvement qui utilise de telles méthodes et ne pas se poser des questions sur l'honnêteté véritable de ses intentions ?

Les origines de cette D.E.C.K. ne sont pas saines, c'est le moins qu'on puisse dire. Les promoteurs du mouvement ont joué de très mauvaises cartes. Cependant cette idée d'un enseignement pris en mains par les mélanésiens et cherchant à répondre aux besoins spécifiques des mélanésiens est loin d'être ridicule. Surtout si l'Eglise veut travailler dans le sens de la promotion et de la prise en mains de leur destinée par les peuples.

Il faudrait bien sûr tenir compte du caractère pluri-ethnique de la Calédonie, et cet enseignement kanak ne pourrait être le seul enseignement proposé à tous les enfants du Territoire.

Cela devrait pouvoir se faire dans le cadre - large - de la D.E.C.... à condition de ne pas se soupçonner mutuellement des pires intentions. Il faudrait donc une "reprise" du dialogue, si jamais dialogue il y a eu.

Cependant, dans la mesure où - selon le slogan - "l'indépendance ne se reçoit pas mais se prend", il faut s'attendre à une certaine "mauvaise volonté" de la part des promoteurs d'une D.E.C. Kanak au niveau de l'instauration de ce dialogue. L'Enseignement Catholique, de son côté, saura-t-il dépasser les traumatismes et les méfiances causés par les actions de ces derniers mois ?

Les leaders politiques qui poussent à la création d'une D.E.C.K. accusent Mgr Klein de se servir des écoles pour asseoir son pouvoir. Qu'ils veillent donc à ne pas tomber dans le travers qu'ils dénoncent. Qu'ils servent les enfants de ce Territoire, et ne se servent pas d'eux et de leurs parents pour monter une action, positive sur le plan politique mais pas forcément sur le plan éducatif si elle était menée trop rondement.

Il faut bien se dire que la création d'une D.E.C.K. n'aura un réel impact politique que dans la mesure où ce sera une réelle réussite sur le plan éducatif, et qu'elle sera issue de la volonté des parents librement engagés dans un tel processus.

Les promoteurs d'une D.E.C.K. veulent remettre les pouvoirs de l'enseignement entre les mains des parents. Il ne faudrait pas qu'il s'agisse là d'une vaste duperie, qu'on se serve des parents pour se retirer de la D.E.C. actuelle, et qu'après, tout pouvoir reste aux mains de quelques technocrates... "les parents étant bien incapables de penser quelque chose de correct dans le domaine complexe de la pédagogie et de l'enseignement en général".

Je n'émets pas là "un doute gratuit". Je ne mets pas en cause la bonne volonté des promoteurs... mais l'histoire le dit, et il faut en être conscient : c'est un risque qui menace même les gens de bonne volonté, et il faut sans cesse se remettre en question !

 

N° 74 fin février 1981

LE PASSEUR

Les grands idéaux, et la réalité ...

Suite aux incessants arrêts de travail, de nombreux parents ont choisi de mettre leur enfant dans l'enseignement public. Mais l'admission en classe supérieure dans une école catholique n'est pas du tout valable pour le Public, et le gosse risque de devoir redoubler son année. D'autre part, il ne trouvera pas dans le Public la même souplesse que dans l'enseignement catholique quant aux dispenses d'âge.

Dans certains centres, il y a une véritable hémorragie des effectifs. Il y aura donc fermetures de classes et enseignants au chômage. Les premiers à être touchés seront les maîtres auxiliaires ... et pas forcément les leaders qui retrouveront leur poste à la rentrée.

Ceux qui critiquent la D.E.C. ne sont pas toujours des enseignants "très motivés". Leur engagement politique prend souvent le pas sur leur travail professionnel. Certains fuient les responsabilités, ne font preuve d'aucune initiative dans le domaine de l'adaptation de leurs cours aux réalités du Territoire. Qu'est-ce que ça donnera dans une autre D.E.C. ?

  

N° 74 fin février 1981

LE PASSEUR

Retraites pascales

On a accusé les retraites pascales d'être une forme de domination. On demanderait aux mélanésiens, déjà pauvres, de sacrifier une semaine de travail pour participer à la retraite alors que, pendant ce temps, les blancs - de chez qui vient la religion - continuent à travailler et à s'enrichir...

Est-il utile de préciser que le but des retraites n'est pas d'élargir le fossé économique qui sépare les mélanésiens des européens !

C'est une invitation qui est lancée. Chacun est libre d'y répondre ou de ne pas y répondre... selon sa "faim" de Dieu. Selon aussi le désir qui l'habite ou non, de répondre davantage aux attentes de Dieu qui veut aider l'homme à se réaliser.

 

N° 75 fin avril 1981

LE PASSEUR

 éditorial

Jésus ou Barrabas ?

Barrabas est un "brigand". C'est un terme qui était souvent appliqué aux Zélotes en raison de leur action politique et religieuse violente. C'était un "prisonnier fameux" dit St Matthieu, sans doute un chef révolutionnaire agissant contre l'occupant romain.

Manouvrée par les grands prêtres, la foule juive obtient de Pilate que Barrabas soit libéré, et que la peine qui lui était destinée soit appliquée à Jésus. "Vous avez rejeté le Saint et le Juste et vous avez réclamé pour vous la grâce d'un meurtrier" dira plus tard Pierre. Il reconnaîtra que la foule a agi par ignorance, poussée par des hommes qui voulaient défendre leurs intérêts, leur autorité.

D'un côté, les Juifs étaient séduits par Jésus, par son attention pour les pauvres. A travers la sagesse ( ... et parfois la folie ! ) de ses propos, ils pressentaient qu'il y avait comme une porte ouvrant sur la vie. Jésus répondait à un besoin secret, indéfinissable qui les habitait.

Mais d'un autre côté, il était décevant. Il ne répondait pas à cette autre aspiration entretenue par les actions des mouvements révolutionnaires : l'aspiration à l'indépendance.

D'un côté donc, un certain pressentiment qu'en Jésus était la Vérité, et de l'autre une déception parce qu'il ne répondait pas à "l'aspiration du moment".

L'aspiration à l'indépendance est pour beaucoup "l'aspiration du jour". Elle a toute sa valeur. Jésus n'y est pas indifférent mais, par son attitude, il veut révéler qu'il y a en nous d'autres aspirations qui ne doivent pas être sacrifiées à celle-ci.

On reproche à Dieu de "planer", de vivre hors du temps. Non, il ne plane pas ! On l'a même cloué en croix et fiché solidement celle-ci en terre ! Ce serait plutôt nous qui vivons trop à ras du sol, "au jour le jour", oubliant ce que l'homme porte d'éternel en lui.

On commence par donner la priorité à la satisfaction de l'aspiration du moment, en laissant pour "plus tard" celle des besoins éternels ( "on verra après, on aura tout le temps pour ça !" ). ... Mais on finit par passer sa vie à essayer de satisfaire nos besoins du jour, oubliant ceux, profonds et non-passagers, inscrits en l'homme.

Et celui-ci va, se desséchant.

Le présent ne doit pas faire oublier l'éternel.

 

N° 75 fin avril 1981

LE PASSEUR

Un "public" chez les "privés"

Enseigner, éduquer dans l'Enseignement Catholique devrait entraîner sur le plan de la vie professionnelle et de la vie privée des interrogations, des recherches. Voici quelques extraits d'une intervention d'un professeur de l'Enseignement Public auprès d'éducateurs de l'Ecole Catholique, parlant de la spécificité de l'Ecole Catholique :

Que les chrétiens de nos communautés éducatives soient : crédibles, audacieux, ouverts; de vrais chrétiens, des gens de foi, d'espérance et de charité fraternelle... résolument lucides et prêts à agir à leur niveau, selon leurs compétences, non pas à côté mais avec leurs frères, animés du même désir de travailler à un monde meilleur.

Et c'est là que je vois le rôle de l'Ecole Catholique : ou bien vous formez des enfants et des adolescents de cette trempe ou bien votre école ne sert à rien ! Ou bien sortent de vos écoles des hommes et des femmes de demain, intelligents, instruits des problèmes complexes de notre monde, des croyants qui sauront le prix de la prière et de la fidélité au Seigneur, qui auront l'expérience de Dieu et de sa Miséricorde, qui connaîtront l'urgence de l'Amour apostolique, qui seront dévorés d'impatience pour le Royaume, qui auront confiance en l'homme, en la vie... ou bien votre école ne sert à rien !

Ou bien l'Ecole Catholique est un creuset de vie chrétienne authentique et de sainteté, ou bien je vous invite chaleureusement à en sortir...

 


fx.devivies@ddec.nc