Face
à face avec la mort Au
pays où l'on meurt en bonne santé Des
points sur les i Une
chatte qu'on a fait taire Libre
mais responsable Un
Noël torride, des églises fermées
N° 72 fin octobre 1980
LE PASSEUR
"Pauvre vieux !"
J'avoue que je frémis lorsqu'à l'annonce d'un décès j'entends cette exclamation de pitié à propos du défunt : "Pauvre vieux !"... surtout quand cette exclamation sort de la bouche d'un prêtre !
"Pauvre vieux" ou "Pauvres nous" ?
Le mort n'est pas coupé de la vie, puisqu'en Dieu est la vie, le repos et la paix.
Le mort n'est pas coupé de nous. Débarrassé des limites de son corps, il voit tout avec un autre regard : celui de Dieu, qui lui apprend à regarder "avec ses yeux à lui". Débarrassé des limites de son corps, il est "autrement" présent aux siens.
Pauvre lui ? Non ! Mais bien plutôt "Pauvres nous" !
C'est nous qui sommes le plus marqués par la séparation parce que, nous, nous traînons toujours les limites de notre corps et que nous ne pouvons plus communiquer avec celui "qui nous a quittés".
Surpris par sa mort, nous souffrons alors de ne pas avoir pris assez le temps de l'écouter, de ne pas lui avoir montré suffisamment d'affection, de ne pas lui avoir demandé pardon...
Devant la mort d'un proche, nous nous trouvons tout bête, parce que nous réalisons combien nous n'avons pas su profiter du temps qui nous était donné pour vivre avec lui.
La mort est un jour de fête, de libération pour celui qui quitte les limites de son corps.
La mort est un jour de deuil pour "ceux qui restent" et découvrent à cette occasion combien jusqu'alors ils ont gaspillé leur vie. Un temps perdu qui ne se rattrape pas !
Pour accueillir d'un coeur paisible l'annonce d'un prochain décès, cherchons à vivre intensément avec tous ceux avec qui Dieu nous donne de vivre.
Ne reportons pas le geste de réconciliation à plus tard. Apprenons à nous montrer délicat, à écouter.
Alors, nous n'aurons plus d'exclamation douloureuse. Nous nous réjouirons : nous aurons tout fait pour être vraiment "présent" à l'autre, et nous savons qu'il découvre une présence encore beaucoup plus forte autour de lui, une présence qu'il n'avait fait que pressentir jusqu'alors... la présence de son Père, le Dieu qui est et qui fait "être".
N° 72 fin octobre 1980
LE PASSEUR
Au pays où l'on meurt en bonne santé...
Si l'on feuillette les registres paroissiaux, il faut bien admettre que, sur la Côte Est, les gens meurent - jusque là rien d'étonnant à ça : ils suivent la loi commune - mais ils meurent en excellent santé, et c'est là l'extraordinaire. Rares, en effet, sont ceux qui ont demandé à recevoir le sacrement des malades.
On fait appel au prêtre pour l'enterrement, mais on ne songe pas à l'appeler pour visiter le malade et lui apporter le réconfort du Christ. Or, le mort n'a plus tellement besoin du prêtre; c'était le malade qui en avait besoin. On ne l'a pas privé des soins qui pouvaient le prolonger un peu, mais on lui a refusé ce qui pouvait l'aider à réussir sa mort.
Au nom de quoi peut-on se permettre de ne pas aider un malade à bien réussir "son passage" ?
Comme ma vie, je voudrais réussir ma mort. Je ne voudrais pas qu'on me vole ma mort. La mort, c'est un moment important, unique, dans la vie d'un homme. Je ne voudrais pas qu'on me vole ce moment unique de mon existence, qu'on me le cache.
Lorsque quelqu'un nous a quitté brusquement, nous sommes bouleversés parce que sa mort nous a pris de court. On aurait aimé lui montrer combien on l'aimait, quelle place il tenait dans notre vie; on aurait aimé lui demander pardon, réparer des torts qu'on lui avait faits... et on apprend un jour, par un message à la radio, que c'est trop tard. Et c'est le regret d'une mort trop soudaine qui nous fait mal.
C'est la même chose lorsqu'il s'agit de sa propre mort à soi.
Si l'on savait qu'on n'avait plus que quelque temps à vivre, le temps ainsi compté, nous ne le gaspillerions pas. Nous en profiterions pour réussir notre mort. A plus forte raison encore si notre vie, elle, n'a pas été une réussite. Nous en profiterions pour demander pardon à ceux à qui on aurait fait du tort, pour montrer notre affection à ceux qu'on aime, pour laisser à ceux qui nous entourent notre dernier message.
En laissant les malades dans l'illusion, les familles leur volent leur mort; elles leur volent les jours qui pourraient être les plus lucides, les plus beaux, les plus vrais, les plus intenses de leur vie.
Malades, ne comptez pas trop sur vos familles : croyant vous protéger, elles vous bercent dans l'illusion.
Si vous sentez la maladie s'installer dans votre chair et marquer dangereusement votre vie; si vous allez subir une opération délicate, si vous êtes âgés, si vous sentez vos forces diminuer et la grande solitude, demandez de vous-mêmes à pouvoir recevoir le sacrement des malades.
Force, lumière, pardon de Dieu, sérénité, paix : telles sont les grandes richesses offertes par Dieu à qui demande avec foi à recevoir l'onction des malades.
Si, de vous-mêmes, vous demandez la visite du prêtre, vous libèrerez vos proches d'un grand poids... : ils ne savaient pas comment faire pour vous le proposer. C'est toute l'atmosphère de la maison qui en sera changée, assainie. C'est vous, le malade qui, ainsi, apporterez la vie à votre famille !
Le sacrement des malades,
ce n'est pas le signe avant-coureur de la mort,
c'est une aide pour vivre "les yeux ouverts" un événement important de sa vie.
Familles qui entourez un malade, sachez que lorsqu'on arrive "au bout du rouleau" on ne songe plus à jouer un personnage, on revoit sa vie avec un autre regard, beaucoup plus humble. Si Dieu vous est indifférent, pensez à celui que vous aimez et qui, à la fin de sa course, s'interroge sur ce qui a fait le but de sa vie. Aidez-le à réussir sa mort.
Réussir sa mort et vivre intensément les jours qui nous sont comptés.
Réussir sa vie et vivre intensément
- sous le regard de Dieu - chacun des jours qu'il nous accorde...
Comme vous n'allez pas chercher à discuter de quelque chose d'important avec quelqu'un "qui n'a plus toute sa tête"... que croyez-vous que puisse faire un prêtre lorsque vous l'appelez au chevet d'un malade déjà à-moitié inconscient ???
Ceux qui ont peur de la mort sont ceux qui ont peur de regarder la vie en face.
Dieu est la vie.
N° 72 fin octobre 1980
LE PASSEUR
Interventions de Mgr Calvet
Des nombreuses interventions que Mgr Calvet a pu faire au cours de sa tournée pastorale, le PASSEUR a retenu pour vous quelques points.
- des familles solides, condition pour avoir une société solide
- la liberté, en matière religieuse, ce n'est pas faire tout ce qui me plait, ce n'est pas me faire une religion selon mes goûts. Nos goûts nous révèlent ce qui nous plaît; ils ne nous révèlent pas ce qui plaît à Dieu. Or Dieu est le seul à voir avec toute la hauteur et le recul nécessaires pour nous diriger sans encombre sur la route de la vie.
- Le devoir du chrétien : soutenir le catéchiste, le prêtre, l'évêque... mais pas uniquement "obéir" ! Etre des chrétiens vivants et pas uniquement obéissants. Etre des chrétiens conduits par l'Esprit, capables d'initiatives, de projets. Le catéchiste est là pour canaliser toutes les initiatives, pour en faire une force vivante et éviter que ce soit un vaste désordre.
- L'indépendance, pour l'Eglise, ce n'est pas un mot mais une tâche. Ça se traduit par le développement de tout l'homme, et c'est à ce niveau - particulièrement par l'éducation - que l'Eglise agit. L'Eglise doit parler quand la personne humaine n'est pas respectée. Justifier un but pourrait, pour certains, vouloir dire que tous les moyens sont justifiés pour atteindre ce but. Or, la fin ne justifie pas les moyens, c'est pourquoi l'Eglise doit être prudente quand elle parle.
- A propos de l'engagement politique du catéchiste... Pour que dans chaque domaine les responsabilités soient assumées sérieusement, il faut - dans la mesure du possible - séparer les responsabilités politique et religieuse, afin de ne pas faire de confusion et de ne pas risquer de mettre l'une au service de l'autre
- L'oecuménisme, ce n'est pas rester dans le vague, et dire que tout est pareil. Non ! tout n'est pas pareil entre les catholiques et les protestants. L'oecuménisme, c'est se rapprocher en apprenant à mieux se connaître. C'est découvrir les valeurs vécues par les autres Eglises pour en profiter nous-mêmes. On n'a pas le droit, au nom de l'oecuménisme, d'éliminer de notre foi les points sur lesquels nous ne sommes pas d'accord entre nous. L'oecuménisme, ce n'est pas gommer de notre foi les points de désaccord, mais nous enrichir de la foi des autres.
N° 72 fin octobre 1980
LE PASSEUR
Une chatte sur un toit brûlant
...sous ce titre aurait dû paraître un article amorçant sur le plan paroissial - pluri-ethnique - une réflexion sur les problèmes actuels...
Devant la crainte de l'équipe pastorale, pour remplacer cet article, l'extrait d'un éditorial de "la voix de l'Eglise en Agenaix".
Que l'Esprit-Saint nous aide à accueillir "les interventions" et les "interrogations" qui nous sont exprimées - même quand elles sont dures à entendre - au lieu de les rejeter.
Que l'Esprit-Saint nous aide à reconnaître les fruits d'un long "dialogue" pour "refaire les siècles", au lieu de mépriser le dialogue et de nous en dispenser.
Que l'Esprit-Saint ouvre nos coeurs au moment même où nous ne comprenons pas tout de suite, au lieu de nous enfermer dans nos évidences trop humaines.
Que l'Esprit-Saint nous fasse "reconnaître les signes des temps" et nous donne le courage pour y répondre, au lieu de nous enfermer dans nos idées arrêtées.
Que l'Esprit-Saint nous maintienne dans "l'espérance" d'autant plus ferme et d'autant plus rayonnante que "le temps" et "les difficultés" la mettent à l'épreuve, au lieu de dire qu'il n'y a rien à faire.
Que l'Esprit-Saint nous inspire de "prier toujours", car c'est la prière qui nous fait communier aux sentiments du Christ, au lieu d'en rester à nos réactions dites "de bon sens".
Enfin, que l'Esprit-Saint nous donne, lorsque nous croyons devoir "nous disputer", de nous disputer vraiment "pour un bien commun", "pour un bien supérieur", en "frères".
N° 73 fin décembre 1980
LE PASSEUR
éditorial
Libre à l'égard de tous
Ne pouvant m'y exprimer tout-à-fait librement, j'avais décidé de ne plus faire paraître le PASSEUR. Et puis, à la réflexion, voyant combien notre silence semblait peser lourdement, je me suis décidé à reprendre le collier pour me joindre à l'effort de réflexion.
LE PASSEUR était le bulletin de liaison interparoissial et, comme tel, l'équipe des prêtres en était co-responsable, même si le poids reposait en grande partie sur mes épaules.
Aujourd'hui, ce PASSEUR sort SOUS MA SEULE RESPONSABILITE. Il continuera à être le bulletin de liaison interparoissial, mais en plus, j'y donnerai librement l'état de mes réflexions sur les évènements.
Tout le monde ne sera, bien sûr, pas d'accord, et je ne dis pas que, toujours, j'aurai raison. Ce sera MA vérité, comme chacun de nous a SA vérité. Vérités qui ne sont que des parcelles de LA VERITE. Mais, en y ajoutant mon grain de sel, j'ajoute un éclairage supplémentaire à toutes ces lueurs de vérité. Je le fais profondément en tant que prêtre.
Si vous étiez en désaccord avec la nouvelle orientation du PASSEUR, je vous rembourserais ce qui vous reste de votre abonnement.
Je n'ai pas la peau très dure. En tant que prêtre, je n'ai pas la couenne aussi tannée que celle des hommes politiques sur qui les coups glissent comme l'eau sur les plumes du canard. Tant pis, mais je préfère être en vérité avec moi-même, et avec ma conception de mon rôle de prêtre, que d'étouffer sous un silence qui, chaque jour, me semble de plus en plus négatif.
Profondément, je cherche le dialogue pour essayer d'y voir plus clair. Au cours du meeting du 8 décembre, quelqu'un m'avait pris à parti : "Je pose une question, j'exige une réponse !"... Heureux ceux qui ont réponse à tout ! Moi, tâtonnant, je cherche ! Je serai toujours heureux de discuter avec ceux qui seraient en désaccord avec moi.
Puisse cette année être l'année du dialogue et de la réflexion. Que l'on dépasse les slogans. Que les mensonges et les interprétations de faits cèdent la place à une quête humble de la vérité, et qu'enfin les énergies s'orientent vers la construction du pays.
N° 73 fin décembre 1980
LE PASSEUR
Message de Noël
de Mgr KLEIN
Des événements graves viennent de se produire dans notre communauté catholique : des églises ont été fermées, et par le fait même, des fidèles ont été privés des sacrements, des prêtres ont été calomniés, notre foi à tous a même été insultée.
Une fois encore, par ces évènements, les responsables de l'Eglise ont été sommés de prendre parti.
En de telles circonstances, il est de mon devoir de rappeler à tous les habitants de Nouvelle-Calédonie la mission de l'Eglise, et les principes essentiels devant guider les chrétiens dans leur pratique politique.
La vocation des responsables de l'Eglise, ici comme ailleurs, est essentiellement spirituelle : annoncer "à temps et à contretemps" la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, mort et ressuscité pour notre salut à tous. Il ne s'agit donc pas pour ces responsables de choisir entre des options politiques purement humaines, relatives et changeantes. Il s'agit de beaucoup plus : favoriser chez tout homme, dans toute société, pour toute ethnie "l'alliance avec la Sagesse éternelle", suivant l'expression du Pape Jean-Paul II.
Les pressions que nous subissons actuellement, aussi bien intentionnées soient-elles, ne sont-elles pas une tentative pour faire renaître "d'en-bas" notre Eglise, en la réduisant à une pure association humaine ?
Cependant, le chrétien, s'il est "citoyen des cieux" est dans le monde. Le catholique prend donc à coeur les intérêts de la cité. Il participe à la vie politique et, dans le cas présent, il s'intéresse vivement à l'avenir de ce Territoire. Plusieurs options se présentent pour déterminer cet avenir : l'indépendance, l'autonomie, le statu quo. Parmi ces solutions préconisées, le chrétien choisit celle qui lui paraît la plus conforme avec son analyse politique faite à la lumière de l'Evangile. Il résulte de cela que le pluralisme politique est une situation normale parmi les chrétiens.
Une fois le choix politique déterminé, le chrétien agit, éclairé par le message des Béatitudes : la paix, la justice, le refus du mépris des autres, la reconnaissance de sa propre faiblesse...
Le débat politique ne va pas sans conflits de toutes sortes. Mais la violence et la haine que ces conflits peuvent engendrer sont inacceptables. En toutes circonstances, le chrétien refuse de s'enfermer dans un schéma trop simple. Il se refuse à classer en bons et en mauvais car, dans tous les partis, dans toutes les races, des hommes cherchent et trahissent simultanément la justice, la vérité et la paix.
La Nouvelle-Calédonie est une mosaïque d'ethnies. Toutes ces ethnies sont appelées à constituer la famille des fils de Dieu qui exclut toute discrimination raciale.
"Ayant reçu le baptême du Christ, vous vous êtes revêtus du Christ. Il n'y a plus ni Juif, ni Gentil; il n'y a plus ni homme ni femme. Vous êtes tous une seule personne dans le Christ Jésus" ( Galates III, 27-28 ). Et nous pourrions prolonger : il n'y a plus ni européen, ni mélanésien, ni wallisien, ni indonésien... Rassemblés dans l'amour du Christ, leurs différences culturelles deviennent alors un trésor pour tous.
Aussi l'Eglise se réjouit tout particulièrement de ce que les Mélanésiens réaffirment leur identité, approfondissent la connaissance de leur culture, dans la fidélité à leurs terres et à leurs coutumes.
Depuis 140 ans, l'Eglise vit avec les Mélanésiens. L'Eglise n'a pas à rougir d'avoir accompagné cette ethnie dans un effort indissociable d'évangélisation et de scolarisation.
La Nouvelle-Calédonie est une terre de tradition chrétienne. C'est pourquoi les évènements que nous venons de vivre ont blessé. Nous sommes à la veille de Noël. Comment vivrons-nous cette fête de l'accueil de l'Enfant Jésus ? Dans la division ? Ou dans la réconciliation qui tient compte des différences et des divergences ?
Des églises ont été fermées. Ce sont nos coeurs qui se ferment à la Parole de Dieu et à la grâce des sacrements. Voilà pourquoi je supplie instamment tous les catholiques de réfléchir à la gravité de ces actes. Que nos consciences chrétiennes se ressaisissent ! Et que nos coeurs s'ouvrent à nouveau, en même temps que nos églises !
C'est mon espoir de Noël !
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