Eglise,
tu nous déranges ! Accusée,
lève-toi ! Pourquoi
l'Eglise ne prend-elle pas parti ? Feux
croisés Dur-dur
de voir ça Catéchiste,
mon frère Cri
contre la fermeture des églises Grève
de la faim" ? Il
y a "libre" et "libre"...
N° 73 fin décembre 1980
LE PASSEUR
Eglise, tu nous déranges !
Dans beaucoup de régimes politiques de par le monde, l'homme est mis dans l'impossibilité d'être un roseau pensant comme le définit Pascal. Il n'a le droit que d'être un roseau, c'est-à-dire de plier l'échine. Il n'a pas accès à l'information autre que celle du parti; on l'abrutit sous les slogans, sous les mots d'ordre. Il n'a que le droit d'être une machine obéissante. Parti unique, syndicat unique, répression des intellectuels, encadrement de la jeunesse. L'homme ne doit pas réfléchir. Surtout pas. Le parti pense pour lui.
Dans tous ces milieux oppressifs l'Eglise seule - même persécutée - reste libre. De cette liberté intérieure que seul le Christ peut communiquer. Eclairée par l'Esprit, soutenue dans sa marche par le Christ, elle est la conscience des nations. C'est pourquoi elle a pour ennemis tous ceux qui ont de mauvais projets sur l'homme et voudraient pouvoir les perpétrer "en douce".
N° 73 fin décembre 1980
LE PASSEUR
Accusée, lève-toi !
On accuse l'Eglise d'avoir contribué à faire du kanak un esclave, parqué dans des réserves, acculturé, aliéné... etc. etc.
Mais, s'il n'y avait pas eu l'Eglise, y aurait-il seulement actuellement en Calédonie encore assez de kanaks pour envisager de pouvoir revendiquer leur indépendance ?
L'Eglise, par sa présence au coeur du monde mélanésien, a évité qu'il ne soit totalement éliminé ou totalement aliéné, incapable de réagir. Par la proclamation de l'Evangile, elle a évité au mélanésien de perdre espoir en demain, et lui a mis entre les mains tous les atouts nécessaires pour réussir la société qu'il est appelé à refaçonner. Par son effort de scolarisation, elle a formé ceux qui aujourd'hui prennent l'avenir en main.
L'Eglise, composée d'hommes marqués par une culture et une époque, traîne avec elle ses limites et ses infirmités... mais qu'elle soit pourrie à la racine, comme certains voudraient le prétendre, il ne faut pas décon... !
N° 73 fin décembre 1980
LE PASSEUR
Pourquoi l'Eglise ne prend-elle pas parti ?
A cause des utilisations malhonnêtes de ses déclarations, l'Eglise se doit d'être prudente. Si, à travers toutes ces manifestations il y a des cris, incontrôlés, d'homme blessé... il n'y a pas que cela ! Il y a aussi une volonté politique bien définie, que beaucoup ne perçoivent pas.
L'Eglise n'a pas pris parti pour l'indépendance kanake, elle ne s'est jamais non plus élevée contre. Elle ne peut s'engager sur deux mots. Il faut savoir tout ce qu'il y a derrière : quel monde, quelle société on bâtira à partir de ces deux mots. Les mélanésiens ne le sachant pas exactement eux-mêmes, il est difficile à l'Eglise de se positionner !
Tout ce qu'elle peut faire, c'est entendre et répercuter ces cris d'hommes blessés. C'est marcher avec eux pour les aider à voir plus clair dans ce bouillonnement de revendications... et apprendre d'eux un nouveau regard sur la situation actuelle et ses ambiguïtés.
Si l'Eglise ne prend pas parti, c'est que seul importe pour elle l'épanouissement de l'homme. Et elle a sous les yeux l'exemple de tous les pays ayant accédé à l'indépendance depuis une vingtaine d'années. Ce n'est pas toujours encourageant ! On ne peut pas dire que l'africain y ait retiré un surplus d'humanité, au contraire ! C'est trop souvent la corruption, la traite du noir par le noir, la désagrégation de l'économie, l'écrasement de l'opposition, l'abrutissement des masses par la propagande du parti.
Mais cette crainte légitime d'un avenir dont les mélanésiens pourraient bien déchanter un jour, ne devrait cependant pas empêcher l'Eglise de reconnaître leur droit à l'indépendance. Ces nuages sur "demain" devraient au contraire la pousser à accompagner avec encore plus de sollicitude cette recherche d'une société nouvelle.
N° 73 fin décembre 1980
LE PASSEUR
"Halte au feu !"... "aux résultats !"
Il ne fait pas bon être curé par les temps qui courent ! Les coups volent bas ! Et de tous les côtés ! A droite on nous accuse de faire la politique de gauche, et à gauche on nous accuse de faire la politique de droite. Nous portons les péchés du monde !
Ceux qui nous attaquent ont depuis longtemps coupé tout lien avec l'Eglise et avec Celui qui la fait vivre. Ils s'enferment dans leurs oppositions, dans leurs peurs et dans leurs certitudes.
Laissez l'officier de réserve... sortir de "sa réserve" et crier : "Halte au feu !" - "Aux résultats !"
Nous ne faisons pas plus la politique de droite que celle de gauche; nous nous efforçons, humblement, de transmettre la Parole de Dieu.
"Aux résultats !"... Dans nos communautés, des hommes et des femmes de toutes ethnies qui se respectent et apprennent à vivre ensemble, malgré tout ce qui les différencie ou les oppose.
Le monde auquel tout le monde aspire se prépare dans les églises, et non dans les meetings ni au bar, devant un apéro, en train de bouffer du curé
N° 73 fin décembre 1980
LE PASSEUR
Marionnettes
Quand on assiste à un meeting, et qu'on y va en homme soucieux du devenir de ses frères... on en ressort avec une sourde appréhension.
... et quand je pense que c'est l'Eglise qu'on accuse de tenir "en esclavage" les gens "effrayés par le sacré importé" !!!
C'est la manipulation éhontée, le viol des consciences. On impose aux gens des actions qui vont contre leurs convictions. Il y règne un tel climat de pression que ceux qui voudraient hurler leur désaccord et leur honte, ne peuvent que rentrer chez eux, le soir, humiliés.
On se croirait déjà dans le "Vietnam libéré". On comprend que certains, qui étaient pour l'indépendance, commencent à se poser des questions.
"Marionnettes" entre les mains des politiciens, mais "fils" entre les mains du Père.
Redresse la barre, Calédonie, sinon tu vas t'éventrer sur les écueils au lieu de prendre le grand large.
N° 73 fin décembre 1980
LE PASSEUR
Catéchiste, mon frère
Je porte avec toi ta secrète souffrance, catéchiste, mon frère.
On t'insulte, on te traîne plus bas que terre. On te traite de béni-oui-oui parce que tu ne renies pas cette Eglise que tu as contribué à édifier avec le meilleur de toi-même. On t'accuse d'être d'une autre époque parce que tu te refuses à entrer dans la spirale de la démagogie et de la violence.
"Mes bien-aimés, ne vous laissez pas dérouter : vous êtes mis à l'épreuve par les évènements qui ont éclatés chez vous comme un incendie; ce n'est pas quelque chose de déroutant qui vous arrive. Mais, puisque vous communiez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous, afin d'être dans la joie et dans l'allégresse quand sa gloire se révèlera.
Si l'on vous insulte à cause du nom du Christ, heureux êtes-vous, puisque l'Esprit de gloire, l'Esprit de Dieu, repose sur vous" 1 P 4, 12s
N° 73 fin décembre 1980
LE PASSEUR
Cri
Je suis un étranger ici. Je n'ai pas le droit à la parole.
Je suis un frère, et je dois crier.
Je dois crier pour réveiller ta conscience
pour te réveiller tout court.
Que réclames-tu ?
- la réintégration de deux enseignants ? Qu'ils fassent donc appel à la commission paritaire et à l'inspection du travail... jusqu'à maintenant ils n'y ont pas montré le nez !
- la démission de Mgr ? Et pourquoi donc ? Parce qu'il a insulté le peuple kanak ? Allons donc ! Sois honnête !
Ce 25 décembre, des églises sont interdites au culte.
Le Père nous a envoyé son Fils pour bâtir le monde nouveau dans lequel tu pourras te réaliser pleinement ... et toi, dans ton entêtement, tu n'écoutes que ta musique intérieure.
Dans ma souffrance, je dois crier. Je dois crier plus qu'avec des mots. Crier avec mon corps.
La grève de la faim est ma seule arme.
Ma seule arme pour t'aider à découvrir l'insulte que tu adresses à Dieu en ce temps de Noël.
Ma seule arme pour dénoncer ton chantage ignoble, sur cette question des enseignants, alors que tout pourrait être résolu par un appel aux recours normaux.
Ma seule arme pour dénoncer les pressions, les manipulations dont sont l'objet mes frères que tu prétends servir.
Si cette grève de la faim est un cri d'homme meurtri. Elle veut être aussi un geste d'amour. Le regard que Jésus porte sur Pierre après son moment d'égarement. Le regard qui le révèle à lui-même, qui le réveille de sa torpeur.
Cette grève de la faim, dans une église que tu as fermée est pour moi, avant tout, un temps d'amour et de prière. Près de Dieu, mon Père. Pour toi, mon frère. Aimer et prier deux fois plus : pour moi et pour toi. Pour toi, parce que je suis ton frère et que je ne te reconnais pas. Afin que tu retrouves ton vrai visage.
N° 74 fin février 1981
LE PASSEUR
Pas question de baisser les bras !
Il peut arriver à tout homme de se sentir un jour complètement "désarmé", de ne plus savoir que faire dans une situation sur laquelle il semble ne pas avoir de prise.
On est souvent tenté alors de "démissionner", de baisser les bras, alors que c'est dans les situations impossibles que l'on se doit justement de réagir.
Dans la Bible, il y a une forme d'action qui nous est souvent donnée en exemple : le jeûne et la prière. Ils nous permettent de rester toujours activement engagé dans l'évolution d'une situation.
J'avais - dans le numéro précédent du Passeur - parlé de "grève de la faim". C'est une expression qui convient mal à ce que je voulais exprimer. J'aurais dû parler de "jeûne de protestation". Une grève de la faim est une forme de chantage..; et on ne réagit pas à un chantage - comme la fermeture d'églises - par un autre chantage.
Que jamais nous pensions "ne rien pouvoir faire". Il n'y a pas de "situation qui nous échappe". Il n'y a pas de cas où il n'y ait plus pour l'homme qu'une solution : baisser les bras.
L'amour de ta maison m'a perdu; On t'insulte, et l'insulte repose sur moi. Si je pleure et m'impose un jeûne, Je reçois des insultes;
Si je revêts un habit de pénitence, Je deviens la fable des gens : On parle moi sur les places, Les buveurs de vin me chansonnent.
Psaume 68
N° 73 fin décembre 1980
LE PASSEUR
Il y a "libre" et "libre"
Je voudrais revenir sur mon dernier éditorial, intitulé "Libre à l'égard de tous".
Il y a des libertés que l'on peut prendre, qui ne sont que souverain mépris pour les autres. C'est ce qui arrive quand on clame bien haut son opinion sur tout, quand on juge de tout et chacun, indifférent à ce que "vit" l'autre. Cette liberté de parole n'est alors qu'une forme de domination. On s'efforce de crier plus fort que les autres, afin de couvrir leur voix et de ne pas avoir à les entendre.
Il peut arriver aussi, qu'après un long temps d'écoute, on sente que l'on doive parler, quelles que puissent être les réactions. Cette prise de parole a une toute autre origine que la précédente. Elle n'est pas animée par un esprit de révolte par rapport à ce que l'autre pense, mais elle trouve son origine dans un réel intérêt pour ce qu'il vit.
On parle alors parce que l'autre ne sait pas exprimer à des étrangers tout ce qui l'habite ... ou parce que sa parole n'est pas reçue ... ou, encore, parce qu'il s'engage sur un mauvais chemin et qu'il faut l'en avertir.
Dans un cas comme dans l'autre, il faut s'attendre à des réactions !
D'un côté, on va chercher à déconsidérer, et à faire taire, celui qui intervient pour ceux qui ont perdu espoir de se faire entendre.
Et de l'autre... on risque les coups de celui qui rue dans les brancards et a décidé, une fois pour toutes, de ne se fier qu'à lui-même, ayant trop souffert de voir sa destinée en d'autres mains que les siennes.
Dans une revue de la Place, j'étais accusé de donner des coups de goupillon à droite et à gauche. Mes positions étaient "difficiles à interpréter" ! Elles me semblent pourtant assez claires ! J'invite à réfléchir; je souligne ombres et lumières. Situation délicate. Accepter de souligner les ambiguïtés de chacun, c'est accepter de voir les uns et les autres se retourner contre vous.
L'amour conduit souvent à la croix. Le Christ en sait quelque chose !
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