Septembre
2002
De
retour à Rome après une visite à Atlanta, en juillet, je trouvais sur mon bureau l'étude du Père Bernard
Bourtot intitulée Les expulsions des
Pères Maristes en 1880. Il s'agit d'une recherche sur un épisode dramatique
de l'histoire de notre congrégation. En novembre 1880, sur ordre de Jules
Ferry, le très anti-clérical ministre français de l'Education, les Maristes et
les autres congrégations furent chassés de leurs écoles. L'étude montre comment
la situation en était arrivée à ce point, quelles furent les réactions du
chapitre de 1880 et de l'Administration Générale sous le généralat du Père
Favre, comment s'opérèrent ces expulsions et leurs répercussions pour toute la
Société.
Bien
que ces évènements appartiennent spécifiquement à l'histoire de France, je
pense qu'ils nous touchent tous étant donné que la congrégation dans son
ensemble a ses racines en France. De plus, ces évènements de 1880 comme ceux,
très semblables, de 1903 donnèrent une impulsion à l'expansion des maristes à
travers l'Europe, les Etats Unis et le Pacifique.
Il
y a un aspect de cette étude qui m'intéresse particulièrement. Le sous-titre
parle d'une "spiritualité de résistance". Le fait est qu'en 1880 les
Pères eux-mêmes n'admettront point de se laisser mener comme un troupeau à
l'abattoir. La plupart d'entre eux s'enfermèrent dans leurs chambres et ne
purent être chassés que par la force et contre leur gré. Il y eut aussi
résistance de la part du chapitre général et de l'administration générale à
Lyon qui s'était préparée à prendre des mesures énergiques et inventives. Le
Père Favre n'hésita pas à relever pro
forma de leurs voeux les professeurs afin de sauver nos écoles. Dans ces
circonstances, les motivations profondes des personnes étaient mises à
l'épreuve.
Un
certain nombre d' images, semble-t-il, nourrissaient cette spiritualité de
résistance. Les Maristes avaient à l'esprit ce que disaient leurs constitutions
sur le nom de Société de Marie. Le
nom, par lui-même, montrait clairement sous quel drapeau la Société cherchait à
mener les combats du Seigneur et quel devait en être l'esprit. Ils se
souvenaient aussi que dans ces mêmes Constitutions la Société était vue comme
une armée rangée en bataille sous le commandement de Marie, prête à mener le
combat contre les ennemis du salut. A la lumière des événements de 1880, les
Maristes voyaient l'ennemi sous une forme nouvelle et concrète : celle d'une
république anti-cléricale qui leur envoyait la police. Aussi voyaient-ils Marie
non seulement comme la servante du Seigneur leur inspirant des attitudes de
soumission, mais aussi comme le capitaine qui commande et donne sens à la
résistance.
Pour
l'heure, 125 ans ont passé. Les relations entre foi et politique, entre
l'Eglise et le monde, entre les citoyens et l'Etat ont profondément changé et
continuent d'évoluer, et pas seulement dans le domaine de l'éducation.
Cependant reste la question lancinante : qu'est-ce qu'une spiritualité de
résistance peut bien signifier pour les
Maristes aujourd'hui ?
La fête du Saint Nom de Marie nous donne l'occasion d'y
réfléchir. Dans aucune période de son histoire, notre Société n'a été sans
raisons de se sentir comme menacée. Aujourd'hui encore, il existe des réalités
troublantes. Dans certaines parties du monde, nos forces pour l'évangélisation
s'épuisent et sont comme minées par la culture d'un athéisme "soft"
dans laquelle il nous faut malgré tout proclamer l'Evangile. En pas mal
d'endroits, nos confrères sont vivement touchés par la baisse des vocations et
par ses conséquences pour la vie et le ministère de la SM. Plus récemment
encore, des provinciaux et leurs confrères souffrent du fait des accusations
d'abus sexuels portées à l'encontre de ministres de l'Eglise et quelquefois à
l'encontre de nos frères dans la Société. D'autres confrères ont à faire face,
jour après jour à la réalité menaçante et
épuisante de la pauvreté et de la violence. Nos motivations profondes
sont ainsi mises à l'épreuve. Peur et découragement n'ont jamais été la réponse
adéquate. Pas plus aujourd'hui. Il nous faut découvrir à nouveau une
spiritualité de résistance.
Résistance,
fort bien, mais où est l'ennemi ? En 1880, il était à la porte. Mais même
ainsi, les Maristes de ce temps là savaient que les ennemis du salut rodaient
aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. Leurs toutes premières constitutions
cherchaient à les préparer tout d'abord à lutter contre trois ennemis. Le Père
Jean Coste avait coutume de parler des "trois Grands Non" en
référence à l'attitude que devaient avoir les Maristes contre la cupidité,
l'orgueil et le pouvoir. Ce sont d'ailleurs les ennemis cités dans le Magnificat lorsque Marie chante : "
Le Seigneur disperse les superbes, il renverse les puissants de leur trône,
renvoie les riches les mains vides."
Tout
dans le monde autour de nous en appelle à une spiritualité de résistance. Là,
cupidité, arrogance et appétit du pouvoir continuent de trouver leurs victimes
parmi les hommes persécutés pour leur foi, les prisonniers politiques, les
paysans chassés de leur terre, les réfugiés sous alimentés, les femmes
opprimées et les enfants contraints au travail forcé. Notre spiritualité
devrait nous encourager à "dénoncer les injustices commises contre tant et
tant de fils et filles de Dieu" (Vita consecrata 82)
Mais,
en même temps, une spiritualité de résistance concerne notre monde intérieur.
Les ennemis ne sont pas seulement aux portes. Ils résident aussi en nous. La
vie spirituelle est un combat, voilà une affirmation aussi ancienne que le
Christianisme. La peur et le découragement sont ici aussi les pires
conseillers. Nous ferions bien de nous souvenir du nom de Marie, qui nous
inspire de nous mettre au travail "avec une force d'âme plus grande et une
confiance plus vive" (Constitutions 7).
Jan
Hulshof s.m.
Supérieur
général
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