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Pierre Chanel, éducateur

Nous croyons tout connaître de Saint Pierre Chanel...

Le missionnaire qui débarquait à Futuna en novembre 1837 n'était pas un jeune prêtre inexpérimenté, mais un homme mûr, qui avait déjà derrière lui plus de 10 années de sacerdoce, et moins de 3 années et demie encore à vivre...

Ordonné prêtre le 15 juillet 1827, le Père Chanel exerça son ministère pastoral à Ambérieu, comme vicaire, puis à Crozet, en qualité de curé. Mais, poussé par le désir de la Mission, il entra en 1831 dans la Société de Marie et le 24 décembre 1836, il s'embarquait au Havre avec Mgr Pompallier. Où était-il pendant ces cinq ans ? Au petit séminaire de Belley, à mi-chemin entre Lyon et Genève.

 

Après la mort de son dernier directeur, l'évêque du lieu, Mgr Devie, avait confié cet établissement à un de ses "missionnaires itinérants", le Père Jean-Claude Colin, qui avait rassemblé autour de lui plusieurs prêtres qui s'étaient engagés avec lui, après leur ordination, à fonder une congrégation religieuse placée sous le nom de Marie. Le Père Chanel avait demandé à son évêque de se joindre à eux. Avec l'espoir, un peu fou, de partir un jour en Mission aux Etats-Unis, la "Terre promise" des missionnaires de ce début du 19° siècle, dont parlaient si souvent les Annales de la Propagation de la Foi qu'il lisait assidûment depuis ses années de séminaire. C'était un rêve de jeunesse qui remontait à l'année de sa première communion ( 1817 ).

En fait, au lieu de partir en Amérique, le Père Chanel passera cinq années au petit séminaire de Belley, exerçant tour à tour les fonctions de professeur de 6° la première année, de directeur spirituel et d'économe les deux années suivantes, et de vice-supérieur de la maison les deux dernières années. Cinq années bien remplies, correspondant à la tranche la plus longue de sa vie active..

Si la détermination du pape Grégoire XVI à envoyer des missionnaires en Océanie occidentale ne l'avait pas amené à confier cette mission à la Société de Marie naissante, et si le Père Chanel ne s'était pas porté volontaire pour cette grande aventure, il y a fort à parier que le Père Colin l'y aurait laissé plus longtemps car il y réussissait fort bien.

Toute sa vie ne fut pas marquée du sceau de l'échec apparent, loin de là ! Sa nomination rapide comme directeur spirituel, puis vice-supérieur de l'établissement montre suffisamment l'estime que lui portait le supérieur de la maison, le Père Colin. Son départ fut pour tous un réel sacrifice, même si lui-même pouvait écrire à la veille de son départ du Havre : "Depuis que je ne sens plus le collège de Belley sur mes épaules, je suis redevenu ce que dut être le cordonnier de la fable, lorsqu'il eut rendu au seigneur les cent écus qu'il en avait reçus pour avoir de nouveau ses chansons !"
          Sa chanson préférée, ce n'était pas l'enseignement ni l'éducation mais la Mission extérieure, mais quand il fallut chanter la première, il s'en tira fort bien !

Quand le Père Chanel arrive à Belley, en septembre 1831, il n'arrive pas en terre inconnue, comme il le fera six années plus tard, à Futuna. Il était en effet un ancien élève de la maison, où il avait fait une année de philosophie en 1823-1824, avant d'entrer au grand séminaire.

Le collège existait depuis 80 ans. Il avait été fermé pendant la Révolution française et était finalement devenu une école municipale. A son arrivée à Belley en 1823, Mgr Devie accepte de reprendre cet établissement. Il en fait officiellement son petit séminaire, avec un personnel composé essentiellement de prêtres diocésains.
          En 1829, en pleine année scolaire, à la mort de son second directeur, il nomme, contre toute attente, pour lui succéder le Père Jean-Claude Colin, qui ne faisait même pas partie du personnel enseignant mais qui logeait sur place avec ses autres compagnons maristes occupés avec lui à prêcher des Missions dans les montagnes du Bugey.
          S'il décide d'y envoyer le Père Chanel en 1831, ce n'est pas seulement parce que celui-ci demandait depuis plusieurs années à se joindre au groupe des aspirants maristes, mais aussi parce qu'il avait confiance en ses qualités pédagogiques et spirituelles pour s'occuper de la formation de ses futurs grands séminaristes. Il ne sera pas déçu.

Avec succès

Pas plus que le Père Jean-Claude Colin, le Père Chanel n'avait été préparé à la tâche d'éducateur qui l'attendait à Belley. Son évêque, en le nommant, pensait qu'il en avait les capacités. La suite lui donna raison. N'est pas professeur de sixième qui veut, même si, cette année-là, la classe ne comptait que sept élèves ; il y faut une certaine disposition. Le Père Chanel l'avait.

La difficulté qu'il aura plus tard à apprendre la langue de Futuna nous fait parfois penser qu'il aurait été un élève médiocre, quoique studieux et volontaire, comme son condisciple, le jeune Jean-Marie Vianney, le futur curé d'Ars, qui faillit être renvoyé du séminaire pour insuffisance intellectuelle. Ce n'était pas le cas du jeune Pierre. Au petit séminaire de Meximieux où il étudia de 1819 à 1823 il obtint plusieurs prix et accessits en vers latins, doctrine chrétienne et discours français et latins. Avec cela, difficile de croire qu'il était fâché avec les langues étrangères, comme on le dit souvent. D'ailleurs, que fera-t-il au Havre, pour tuer le temps, pendant les deux mois qu'il passera avant de pouvoir embarquer pour le Chili ? Il apprendra deux langues en même temps - l'anglais et l'espagnol - pensant qu'elles pourraient lui être utiles plus tard.. Il eut pourtant beaucoup de mal à apprendre la langue de Futuna, si différente de celles qu'il parlait ou comprenait. Ce fut son écharde dans sa vie de missionnaire.

Oubliant provisoirement son attrait pour les Missions, il va se donner totalement à sa tâche, malgré de graves problèmes de santé la première année ( douleurs de poitrine et crachements de sang qui l'obligeront de s'absenter souvent de sa classe pour se reposer ). Néanmoins le supérieur de l'établissement, le Père Colin, qui vit avec lui, remarque ses bons rapports avec les autres enseignants, ses élèves et les autres élèves de l'établissement.
          Dès sa seconde année il le nomme directeur spirituel, puis deux ans plus tard, vice-supérieur de la maison. En fait, il se déchargera sur lui presque totalement de la marche du séminaire pour pouvoir se consacrer aux affaires de la Société de Marie. C'est dire qu'entre lui et le Père Chanel il y avait une grande communion de vues et de pensées.

Quel était le projet éducatif du Père Colin ?

Il insistera beaucoup sur la communauté éducative que doivent former, selon lui, les professeurs, les préfets, les directeurs spirituels et le supérieur du petit séminaire. Tous devaient être animés par un amour fraternel, qui servirait de modèle aux élèves. "Rien ne fait plus d'impression sur eux que le bon exemple" aimait-il à répéter.
          Dans cette communauté, le supérieur avait un rôle particulier : celui d'un père, qui exerce ses fonctions dans un esprit de concertation et de service. Mais le supérieur reste seul maître à bord, après Dieu. Une dizaine de professeurs l'apprirent à leurs dépens quand ils adhérèrent, contre la volonté de leur supérieur, aux doctrines de Lamennais. A la rentrée suivante il ne reprit aucun d'eux !

Quelles étaient les qualités éducatives que Colin attendait de son personnel ?
   Avant tout de l'autorité : c'était la pierre d'angle de son système éducatif.
   Ensuite, la connaissance personnelle des élèves, condition indispensable pour pouvoir s'adapter à chacun d'eux.
   Puis un enseignement de qualité.
   Enfin, la vigilance, surtout dans les moments et sur les lieux où l'étude n'occupait pas l'esprit des élèves ( la majorité d'entre eux, il faut se le rappeler, étaient internes )
   Si la punition faisait partie de l'arsenal pédagogique, Colin recommandait d'en user avec modération et prudence. Mais si l'avenir de l'établissement était en jeu, il n'hésitait pas à renvoyer un élève.

Le secret du Père Chanel

Comment Pierre Chanel mit-il en application ce projet éducatif ?

Nous avons le témoignage d'un professeur qui ne le connaissait pas avant d'arriver à Belley. "Je ne savais à son sujet que sa grande réputation comme excellent directeur. Son amabilité charmait tous les élèves; il était chéri de tous... Il avait une réputation de bonté, de douceur, de piété... Il était toujours gai... Ses réunions hebdomadaires avec les professeurs étaient très utiles pour la paix et la bonne entente, ainsi que pour la discipline de la maison... La maison marchait bien sous sa direction..."

Dans ce témoignage il manque un mot important utilisé par le Père Colin. Celui de fermeté. A la place, on a celui de douceur. Les Futuniens le noteront plus tard : Chanel était un homme au bon coeur.
         Anne-Marie Chavoin, la future fondatrice des Soeurs maristes, qui vivait dans le collège voisin de Bon Repos, parlait, elle, de
"sa trop grande bonté", contre laquelle elle le mit un jour, en garde. Elle craignait que "son manque de fermeté ne nuise au collège". Ce qui était sous sa plume un reproche, était en réalité une qualité !

Il est vrai qu'après son départ, le collège connut de grosses difficultés, mais peut-on les lui reprocher ? Alors qu'il était encore au collège, un scandale éclata un jour : un des professeurs, un séminariste originaire de Saint Etienne, corrompait certains élèves ( la pédophilie existait déjà à l'époque ! ), et le Père Chanel n'avait rien vu... Mais il n'était pas le seul : personne ne s'était rendu compte de rien, comme cela se passe bien souvent dans ces cas-là.
        Ayant découvert le pot aux roses, Chanel prit la décision qui s'imposait.

Quelle était la clef du succès du Père Chanel auprès des élèves et de leurs parents ?

Elle peut se résumer en trois expressions :

           une sainte gaieté
                    peu de pratiques
                    et un projet pour chacun

Une sainte gaieté... Chanel était toujours gai, on l'a déjà vu. C'était naturel chez lui, comme le prouve sa remarque à un ancien élève, en 1835 : "Il n'y a rien d'extraordinaire ici pour le moment. On travaille et on s'amuse beaucoup..." Séances théâtrales, fêtes, chorales, grands congés avec lever en fanfare : l'ambiance à Belley n'avait rien de morose sous sa houlette !
         Peu de pratiques... Ni Colin ni Chanel n'étaient en faveur de pratiques religieuses multiples. Une messe par semaine, une dizaine de chapelet par jour et une confession par mois constituait le menu religieux des élèves. C'était beaucoup moins que dans les établissements similaires de l'époque.
         Un projet pour chacun... c'est-à-dire une attention personnelle à chaque élève. C'était bien dans le style de Chanel. En tant que directeur spirituel, il "confessait à tour de bras", selon son expression, c'est-à-dire qu'il passait beaucoup de temps avec les élèves individuellement pour les conduire vers Dieu, chacun à son rythme. Après leur départ du collège, il entretint une correspondance suivie avec certains d'entre eux, jusqu'en Océanie. De Valparaiso, au Chili, où il faisait escale, il demanda que chaque année on lui envoie la liste nominale de tous les nouveaux et qu'on mette une petite croix devant le nom de ceux qui auraient déjà la pensée de venir le rejoindre en Océanie.

Les cinq années du Père Chanel à Belley l'ont beaucoup marqué.

Dans une des dernières lettres que nous avons de lui, envoyée de Futuna au Père Colin en mai 1840, il disait : "Les petits séminaires de Belley et de Meximieux ne deviendront-ils pas deux pépinières de missionnaires ?... Dans l'impossibilité où je suis d'écrire maintenant à vos chers enfants du petit séminaire de Belley, auriez-vous, mon Très Révérend Père, l'extrême bonté de leur dire de ma part qu'ils ne peuvent pas se faire une idée de la tendresse et de l'affection que je leur porte toujours..."

Tendresse, affection, toujours...
         
Ces mots caractérisent bien l'éducateur qu'il fut pendant cinq ans. Il avait aimé les jeunes qui lui avaient été confiés !  
         A l'autre bout du monde, pendant les quelques années qu'il lui restait à vivre, il ne fera pas autre chose :

aimer jusqu'au bout les Futuniens qui lui seront confiés.

 D'après une conférence de Carême du Père F. Grossin, le 21 Mars 2003 


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